Les actifs immatériels : grands coupables des « Paradise Papers » ?

Après les « Panama Papers », l’affaire « Paradise Papers » met en lumière les pratiques bien huilées d’évasion fiscale et d’optimisation fiscale. Ces pratiques se basent notamment sur des stratégies de gestion des actifs immatériels (brevets, marques, logiciels). Cet article propose un axe de réflexion sur ce que pourraient être les bonnes pratiques en matière de gestion de ces actifs.

Article publié initialement dans Les Echos – Le Cercle

Après les Panama Papers, l’affaire « Paradise Papers » met en lumière les pratiques bien huilées d’évasion fiscale et d’optimisation fiscale, qui jouent sur les vides juridiques qui existent dans certains pays ou même au niveau international. L’optimisation fiscale alimente de fait un pan d’activité économique à peine dissimulé. Tous les professionnels connaissent ces pratiques, même si tous n’y ont pas recours, ne l’oublions pas !

La méthode de grandes entreprises internationales telles que Google, Amazon et consorts est d’élaborer des montages fiscaux qui consistent la plupart du temps à déclarer leurs revenus, et donc de les domicilier, dans des paradis fiscaux.

Comme l’impôt sur les sociétés repose sur les bénéfices et non sur le chiffre d’affaires, il devient difficile de le calculer lorsque les sociétés comptent plusieurs entités sur différents territoires et qu’elles disposent de plus d’actifs immatériels (brevets, marques, logiciels…) qui consolident le cœur de leur activité et permet de concentrer certains flux de revenus.

Certaines sociétés choisissent donc de placer ces actifs dans un paradis fiscal, tout en concédant des licences aux autres entités du groupe. Ces licences génèrent un flux de revenus vers le paradis fiscal et ces revenus s’en trouvent faiblement imposés. Pour autant, bien souvent, ces actifs n’ont pas été développés dans le paradis fiscal, car les équipes R&D ou marketing ne sont généralement pas implantées dans ces pays.

Le raisonnement est le suivant : ce qui n’est pas taxé, reste dans la trésorerie de l’entreprise et permet de réinvestir en R&D, ce qui permet de garder une longueur d’avance sur les entreprises qui ne se plient pas à ces pratiques, ou bien de mieux rémunérer les actionnaires.

Ces pratiques engendrent donc une inégalité économique sur les marchés, une forme de concurrence déloyale. Cela constitue un cercle vicieux puisque pour rester compétitives face à ces géants, nombre d’entreprises choisissent, quand elles le peuvent, d’adopter les mêmes règles du jeu…

Ce déficit en impôt se répercute alors sur ceux qui ne s’évadent pas, par choix ou parce que cela ne leur est pas possible. On parle donc ici des TPE, PME et toute activité économique plus traditionnelle, qui paient proportionnellement bien plus d’impôt que leurs « grandes soeurs ».

La Commission européenne, les journalistes et les citoyens auront-ils raison de ces pratiques ? Comment pourrait-on s’assurer que les grandes entreprises qui s’adonnent à ce type de concurrence déloyale contribuent à l’impôt ? 

De nombreux experts se penchent sur ces questions afin de trouver des solutions d’harmonisation des politiques fiscales en Europe, et à l’international, de réglementer d’une façon ou d’une autre ces pratiques pour favoriser une certaine transparence, et de faire en sorte que les entreprises paient leur impôt là où elles génèrent réellement leurs bénéfices.

Dans ma pratique de valorisation économique comme financière de ces fameux actifs immatériels, je constate chaque jour leur valeur croissante pour l’économie et les sociétés.

Cette pratique m’amène naturellement à orienter le débat sur un autre axe de réflexion, qui pourrait porter sur une forme de standardisation de la gestion des actifs immatériels des sociétés, du moins au-delà d’un certain seuil de revenus et à partir du moment où la structuration de l’activité implique de nombreuses implantations et des mécanismes de licences.

Il serait par exemple opportun d’inciter les grandes entreprises à tenir une forme de registre de ces actifs immatériels qui recueillerait, de façon probatoire :

  • La documentation de la genèse de l’actif immatériel (brevet, marque, logiciel) : cela peut se traduire par un extrait de cahier de laboratoire, l’historique contextualisé des investissements avec preuves…
  • Les produits et services associés
  • Une comptabilité analytique qui trace les investissements associés et la génération de revenus des produits et services associés à chaque actif
  • Un suivi des droits de propriété intellectuelle afférents
  • Un suivi des contrats (co-développement, copropriété, licences…) qui s’y rapportent avec preuves d’exécution
  • Un reporting synthétique dans les rapports annuels, qui s’adressent notamment aux actionnaires, qui fait état de cette classe d’actif et de leur valeur présumée, afin d’assurer une transparence de gestion

La mise en place de ces pratiques permettrait certainement, au-delà de l’adaptation des mesures fiscales, de mieux justifier des pratiques comptables et fiscales basées sur ces actifs et de leur bien fondé, le cas échéant.

Cela favoriserait aussi une plus grande transparence de ces portefeuilles d’actifs qui constituent un pan important de l’économie et de la valeur des sociétés, mais qui ne sont pas nécessairement mis en avant dans leurs rapports annuels pour autant.

De même, une excellence de gestion à ce niveau pourrait permettre la création de labels de transparence et de responsabilité dans les pratiques comptables et fiscales, qui pourraient devenir sous quelques années des arguments marketing tout aussi attractifs pour les consommateurs finaux que les labels environnementaux.

Sylvie Gamet, CEO de Finantis Value

 

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